2016 – Terre d’enfance
« Terre d’enfance » est ma seconde fresque après « Le Souffle et la Trace » en 2015, cette série a été présentée la première fois en octobre 2016 à la Ferme de Bressieux, un très bel espace proche de Chambéry.
Les compositions étaient disposées dans un ordre précis, selon trois chapitres correspondant aux trois romans qui m’ont inspirée et dont quelques courts passages figuraient sous les toiles. La plupart des toiles sont reliées par deux ou trois. Elles sont indissociables. C’est ma façon d’évoquer le passage d’un état à l’autre, une transition tout en préservant l’unité du sujet.
L’exposition commence par la Terre qui penche de Carole Martinez, se poursuit avec Pietra viva de Léonor de Récondo pour finir avec l’amie prodigieuse d’Elena Ferrante. Trois romans, trois regards d’adulte sur l’enfance.
Chapitre I : la Terre qui penche
« Entre la belle cotte rouge de laine vive et mon corps, ma petite chemise s’interpose. Elle me rassure, je l’attrape au col sous l’habit et je tire sur le tissu jusqu’à la remonter sur mon nez et ma bouche pour me protéger de la nuit, de la peur, de la poussière et du vent, pour me sentir chez moi en un monde si vaste.
Le monde immense m’est un vertige mais je la sens douce contre ma peau, et je suis rassurée dans le ventre souple du tissu. La nuit, les bêtes poussent leurs cris terrifiants, la forêt me lèche au visage, son haleine humide me pénètre jusqu’à l’os, et le feu des hommes a bien du mal à tenir les ténèbres à distance, mais ma petite chemise m’enveloppe et, comme elle m’est un peu large encore, je la tortille pour mieux la sucer en m’endormant. » La Terre qui penche, de Carole Marinez (Gallimard)
« Comme les peintures de ton temps, tu méprises la perspective, ma petite fille, tu déformes le monde pour que ton œil le contienne, tu le mets à plat pour arriver à le dire et, d’un instant à l’autre, les proportions changent, ne sont jamais les mêmes. Parfois, le chemin n’en finit pas de dérouler ton voyage, le monde est trop vaste pour les hommes qui y vivent, trop ample pour ton petit esprit de douze ans qui n’en voit pas le bout et se cherche des bornes, parfois tu réduis le pays à la taille d’un grand lit, ton regard se fixe sur le mouvement d’un infime moucheron dans un rai de lumière ou sur celui d’un brin d’herbe que le vent fait danser. » La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard)
« Tu t’es perdue dans la forêt et tu n’as rien semé dans ton sillage qu’un cri. » La Terre qui penche, de Carole Martinez, (Gallimard)
« On oublie si vite nos rêves et nos désirs d’enfant, on les dilue pour les rendre acceptables, innocents et jolis. On ne se souvient que d’un monde doux et tranquille, alors que la pureté même de l’enfance est tout entière dans cette violence que tu dis sans détours. » La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard)
« Tes petites peines sont de telles déchirures et tes larmes ne coulent pas, elles jaillissent, ardentes et pures, elles sont de feu plutôt que d’eau. » La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard).
« La rivière t’était mystérieusement familière, elle t’offrait le plus fascinant des spectacles. L’eau transparente virevoltait de bancs d’ombres mouchetés, dont le mouvement seulement laissait deviner la présence, de longs serpents à collier orange sinuaient en surface dans le bleu du ciel, d’énormes truites piquées d’or t’observaient, bouche bée. La rivière, pleine de vie et de soleil, te berçait joyeusement, te tenait dans ses grands bras mouvants, sans serrer ton petit corps gracile, elle nettoyait tendrement tes blessures, tes jambes ensanglantées, tes mains et ton visage que le feu de la nuit avait salis, elle te caressait les joues, le cou, effaçant la marque de l’épée, elle jouait gentiment avec ta longue chevelure rouge. L’eau passait entre tes mèches comme des doigts, elle te peignait, démêlait tes cheveux que le vent avait noués. Tes mèches ardentes flottaient tout autour de ton sourire et des algues vertes venaient s’unir à ta crinière de feu. Tu te sentais si bien que tu aurais pu t’endormir, bercée par les courants profonds. Tu as fermé les yeux quelques secondes et tu as senti qu’on t’effleurait le front pour y déposer un baiser d’amour. « La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard)
« Avais-je seulement porté l’un de mes enfants avant toi ? Je ne m’en souvenais pas. J’ai alors choisi d’endosser le rôle de Joseph, plutôt que celui de Dieu, je me suis questionné sur ce que je ressentais et non sur ce que je représentais. Tu m’as révélé à moi-même, mon fils. Grâce à toi, je me suis offert la joie d’être un homme aimant et imparfait. Imparfait du fait même de ton existence et affaibli par mon amour. » La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard)
« Ne sois pas triste, petite sauvage. Je serai toujours là pour toi, je serai la terre que tu fouleras et je te porterai comme je t’ai portée jusqu’ici…. Je serai toujours là, je serai le sentier de terre que tu choisiras, je serai tous les sentiers du monde sous tes pas, je te mènerai où tu voudras. .. Tu as grandi, Blanche, mais je serai toujours là sous tes pieds, je serai la terre qui te porte, je serai la couleur des champs, je serai les labours. Tu peux m’appeler Terre. Ne viens pas demain ! » La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard)
« A tes côtés, je m’émerveille. Blottie dans mon ombre, tu partages ma couche. Tu dors, ô mon enfance, et, pour l’éternité, dans la tombe, je veille. » La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard)
Chapitre II : Pietra viva
« Dans le sable creusé par la mer L’enfant de ses mains douces a déterré le coquillage. L’approchant de son oreille, il espère retenir les vagues et récolte l’écume d’un parfum. » Pietra viva, de Léonor de Récondo (Le Livre de Poche)
« Alors que ses pas le mènent au cœur de la montagne il se laisse surprendre par Echo qui, la gorge déployée, lui offre le chant du parfum : Le rire de l’iris. » Pietra viva, de Léonor de Récondo (Le Livre de Poche)
« Du haut de son perchoir, Il tombe sur le sol de son enfance. La main si délicate Lui parle d’aromates et d’amour. Il l’entend, la sent, la goûte. Quand la verra-t-il ? » Pietra viva, de Léonor de Récondo (Le Livre de Poche)
« L’enfant porté par sa joie dévale le chemin de pierres, Il y abandonne peurs et jouets pour plonger dans l’étreinte chaude de la robe adorée qui grave sur sa joue Ses arabesques brodées. » Pietra viva, de Léonor de Récondo (Le Livre de Poche
« La chevelure de pluie s’est défaite. De l’orage nait l’espoir infini d’un amour retrouvé qui s’arrache à l’oubli pour ressusciter la mémoire de l’enfant dans le cœur de l’homme. » Pietra viva, de Léonor de Récondo (Le Livre de Poche)
« Elle est là en moi, elle ne me quittera plus » et dans son ivresse joyeuse il sent le parfum, entend le rire, goutte le souvenir, caresse sa robe et s’abreuve du visage. Elle est toute entière. Sa mère. Pietra viva, de Léonor de Récondo (Le Livre de Poche)
Chapitre III : L’amie prodigieuse
« Nous avions douze ans et nous marchions sans fin dans les rues brûlantes du quartier, au milieu des mouches et de la poussière que les vieux camions soulevaient sur leur passage, comme deux petites vieilles qui font le point sur leur vie pleine de déceptions, en se serrant l’une contre l’autre. Je me disais que personne ne nous comprenait et que nous seules pouvions nous comprendre. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio)
« Elle considérait que ce qu’elle faisait était juste et nécessaire, tandis que moi j’avais oublié pour quelle raison j’étais là et, pour sûr, j’étais là uniquement parce qu’elle y était. Nous montions lentement vers la plus grande de nos terreurs de l’époque, nous allions affronter notre peur et la regarder en face. A la quatrième volée de marches, Lila eut un comportement inattendu. Elle s’arrêta pour m’attendre et, quand je la rejoignis, me donna la main. Ce geste changea tout entre nous, et pour toujours. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio
« … et je pensai à Lila et moi, à cette capacité que nous avions toutes deux quand nous étions ensemble – seulement ensemble – de nous approprier la totalité des couleurs, des bruits, des choses et des personnes, de nous les raconter et de leur donner de la force. Je rentrai dans notre quartier comme si je revenais d’une terre lointaine. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio)
« Nous avançâmes en nous tenant du côté du mur, elle deux marches devant moi et moi deux marches derrière, tiraillée entre le désir de raccourcir la distance entre nous et celui de l’augmenter. … Je tremblais. Chaque bruit de pas et chaque éclat de voix, c’était Don Achille qui arrivait dans notre dos, ou bien qui venait vers nous avec un grand couteau. … Nous nous arrêtâmes souvent et, à chaque fois, j’espérai que Lila se déciderait à faire demi-tour. J’étais trempée de sueur. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio)
« Parfois, quand il n’y avait personne à la maison, Lila allait dans le cagibi ou elle avait caché les chaussures et elle les touchait, les regardait, émerveillée qu’elles existent malgré tout, et qu’elles soient nées grâce à un petit dessin sur une feuille de cahier. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio)
« Elle était comme ça, elle rompait les équilibres seulement pour voir de quelle autre manière elle pouvait les recomposer. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio)
« Mais rien de ce que nous avions sous les yeux tous les jours, ou de ce que nous pouvions voir en escaladant la colline, ne nous impressionnait. Habituées par nos manuels scolaires à parler savamment de ce que nous n’avions jamais vu, c’était l’invisible qui nous attirait. » L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante (Folio)