Les Racines et l’Ailleurs est une grande fresque qui rassemble une quarantaine de toiles dont la plupart ont été réalisées en 2020. Celles-ci ont été exposées en octobre 2020 à la Ferme de Bressieux, à Bassens près de Chambéry. En dépit des mesures sanitaires en vigueur à l’époque, l’exposition a rencontré un vif succès avec plus de 400 visiteurs.
Les Racines et l’Ailleurs
« Les nomades, eux, se réfèrent toujours aux astres, au vent. L’homme s’est retiré du cosmique, de la fascination de l’universel, de la totalité. Des valeurs propres aux poètes et aux artistes. Ces valeurs sont inépuisables dans le désert. Rien n’est achevé au désert, le concret et le sacré sont mêlés de manière naturelle. Il est à la fois les racines et l’ailleurs, tout se tient, de la fleur à l’étoile. »
Le chercheur d’absolu (1997) – Théodore Monod
Ce texte est à l’origine du titre de cette exposition. L’ouvrage de Théodore Monod et d’autres livres (Erri de Luca, Chi Zijian, Thoreau, …), ont inspiré mon travail de ces deux dernières années. Les liens racinaires, vitaux, entre l’homme et le monde qui l’entoure, proche ou infiniment éloigné, le monde visible ou invisible, présent ou passé, entre générations, ces liens portent mon travail de peintre depuis longtemps (Le Souffle et la Trace, 2015).
Dans Les Racines et l’Ailleurs je présente une quarantaine de toiles dont la plupart sont associées en fresque où chaque panneau présente son sujet propre, sa singularité, comme élément vivant d’une composition plus large.
J’évoque à ma façon la Terre Mère en donnant ma vision du monde minéral, végétal et animal. Mes toiles texturées, ridées, expriment les aspérités de la vie, ses fissures, sa fragilité, la patine du temps long. Si la majorité des œuvres sont aux couleurs de terre et de feu, une série de toiles en noir et blanc conjugue matière et fluidité, opacité et transparence. Je souligne les contrastes, les contraires, les oppositions en chaque être. Les Racines (la matière, le corps, la terre, la force, le noir) et l’Ailleurs (nos rêves, nos quêtes, nos doutes, notre vulnérabilité, nos visages levés vers les étoiles).
Ignorants ou insouciants, les hommes agressent la Terre Mère qui les interpelle. Avec mon âme d’artiste, je porte un regard sur les êtres, les éléments, l’eau et le feu, mue par un appel intérieur, une urgence, une prière. Je tente de revenir aux Racines pour éclairer l’Ailleurs.
Il n’avait encore prononcé ni verbe ni nom, avant « Yehi Or », que soit la lumière, au troisième vers. Dans la nuit des abîmes et du monde, un vent d’Elohim soufflait sur les visages des eaux, qui dormaient sous l’infini immobile…
Et le deuxième jour les eaux se rompirent pour faire place au ciel. L’univers était liquide, il fut divisé en deux, un dessus et un dessous, avec le firmament au milieu.
Les eaux s’amassèrent dans des enclos, s’offrit à la vue le sec et il fut appelé terre. Et sur elle l’arbre s’abreuve, flotte, et brûle autant qu’un homme.
Et sur la terre, nuages, glaces, neiges, arcs-en-ciel, étangs, marais, lacs, puits, citernes, canaux, bassins, afflux, sources, torrents, thermes et prières pour bénir l’eau.
Prologue à la nuit – Œuvre sur l’Eau – Erri de Luca
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Les nomades, eux, se réfèrent toujours aux astres, au vent.
L’homme s’est retiré du cosmique, de la fascination de l’universel, de la totalité. Des valeurs propres aux poètes et aux artistes. Ces valeurs sont inépuisables dans le désert.
Rien n’est achevé au désert, le concret et le sacré sont mêlés de manière naturelle. Il est à la fois les racines et l’ailleurs, tout se tient, de la fleur à l’étoile.
Le chercheur d’absolu – Théodore Monod
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Le noir est une couleur, le blanc aussi ; tous deux participaient de l’Origine. L’un appelant l’autre, l’un complétant l’autre, entre eux sans cesse la Vie fulgure, fait signe.
Enfin le royaume – François Cheng
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Éteindre en nous ce feu qui mord, qui dévore ? Mais que faire d’autre, sinon rallumer un feu autrement plus puissant, plus libre, charnel-aérien, à l’image de la flamme initiale, ne trahissant rien mais transformant tout en veillée nuptiale.
La vraie gloire est ici – François Cheng
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J’attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la mouche.
J’attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J’attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s’est pas épargné, à deux vieux qui s’aiment.
J’attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien, et à ce qui aujourd’hui vaut encore peu de chose.
J’attache de la valeur à toutes les blessures.
J’attache de la valeur à économiser l’eau, à réparer une paire de souliers, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s’asseoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J’attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J’attache de la valeur au voyage du vagabond, à la clôture de la moniale, à la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J’attache de la valeur à l’usage du verbe aimer et à l’hypothèse qu’il existe un créateur.
Valeur – Œuvre sur l’eau – Erri de Luca
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Suivant les instructions de Jiele la chamane, Niro nous dit qu’aidée de la force que lui conféraient les Esprits, elle s’engageait à consacrer sa vie à la protection du clan afin que d’année en année nous nous multipliions, que nos rennes soient féconds et nos chasses généreuses. Puis, le tambour dans la main gauche et les baguettes en fémur de chevreuil dans la main droite, elle exécuta la danse des Esprits avec Jiele la chamane. Malgré son grand âge, celle-ci dansait avec fougue. Quand elle commença à battre le tambour, des oiseaux vinrent en foule se poser dans les arbres de notre camp. Les battements de tambour se mêlaient au chant des oiseaux, de toute ma vie je n’ai entendu plus belle musique. Niro dansa avec Jiele la chamane de midi jusqu’à la nuit tombée, six ou sept heures d’affilé. Elle jouait de mieux en mieux du tambour, sa danse se faisait de plus en plus déliée, c’était de plus en plus beau. Jiele la chamane resta trois jours parmi nous. Pendant trois jours elle exécuta la danse des Esprits. Par son tambour et sa danse elle fit de Niro une chamane.
Le Dernier Quartier de lune – CHI Zijian
Nous fîmes pour mon père des funérailles dans le vent. La nuit même le chamane choisit quatre grands arbres formant un carré, il coupa des perches qu’il disposa à la fourche des arbres pour faire une plateforme où reposerait mon père. Il expliqua qu’il plaçait ce lit en hauteur, car comme l’Esprit-tonnerre avait emmené mon père, il fallait le rendre au ciel d’où procède le tonnerre et que sa tombe soit un peu plus proche du firmament. A l’aube nous enveloppâmes mon père dans un drap blanc et le hissâmes sur son dernier lit. Le chamane découpa dans de l’écorce de bouleau un soleil et une lune qu’il posa sur la tête de mon père. Je pensai qu’il devait lui souhaiter de la lumière dans l’autre monde.
Le Dernier Quartier de lune – CHI Zijian
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Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d’une possible fièvre
Partir où personne ne part
Aimer jusqu’à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D’atteindre l’inaccessible étoile
Telle est ma quête,
Suivre l’étoile
Peu m’importent mes chances
Peu m’importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l’or d’un mot d’amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s’éclabousseraient de bleu
Parce qu’un malheureux
Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s’en écarteler
Pour atteindre l’inaccessible étoile.
La Quête – Jacques Brel