Dans le bel espace qu’offre la Galerie Espace Liberté, à Crest (26), Véronique Bonnier a présenté l’exposition « Ceci est ma Terre », constituée de son travail de ces deux dernières années et exposée en partie à Chambéry en novembre 2023. Depuis, toujours nourrie par ce thème, l’artiste a enrichi l’exposition présentée aujourd’hui. Le titre provient du long poème Beauté Noire, de Romaine Moreton, poétesse aborigène, emblématique de ses sources d’inspiration actuelles.
Les cultures ancestrales encore pratiquées dans diverses régions du monde ont gardé ce lien originel et étroit avec le monde qui nous entoure. Ce retour aux sources, ce lien primordial avec notre environnement, est le moteur de Véronique Bonnier depuis longtemps, et précisément à travers ses créations récentes exposées ici. On pourra lire deux poèmes qui l’ont fortement inspirée : un extrait de Beauté Noire,et les paroles d’une chanson du groupe No Mad, Les Loups au loin, d’inspiration chamanique, écrite par Pierre Dodet, l’auteur de prédilection du groupe drômois. Sensible aux forces de la matière, aux liens étroits qui nous relient au vivant quel qu’il soit, l’artiste accueille ces textes et s’en nourrit. Elle ressent la houle de l’océan, le souffle du vent, la sève des arbres, l’odeur de la terre, la poussière, la vibration des astres. Elle y répond sur la toile, miroir de son élan intérieur.
Inspirée par certains vitraux contemporains, l’artiste voit en eux un symbole dans les lignes noires qui traversent la composition en reliant les sections vitrées, l’idée d’un tissage entre les êtres dans leur diversité. Elle l’intègre à son langage pictural. Sur certaines toiles, les cernes larges guident fermement le mouvement général de façon nette et puissante. Sur d’autres toiles, les plus récentes, l’artiste use d’une palette en demi-teintes et texturée. Les formes débordent, se chevauchent, irriguées par un tissage de lignes ténues, de vaisseaux sinueux et vibrants, un maillage vital, souple et léger où circulent une multitude de touches colorées, comme portées par le courant d’une rivière.
Dans son travail à l’encre sur papier Véronique va à l’essentiel. Sur les petits formats ou sur les grands kakémonos accrochés à la structure en branches de noisetier (encore un symbole), seuls restent les collages et le dessin. Un graphisme subtil tisse un réseau de vaisseaux, de lignes nervurées, dans une composition aérienne, légère, vivante.

J’ai passé un moment de ma vie en compagnie d’un chien. Un jour, celui-ci s’est trouvé en contact avec l’opus 110 de Beethoven, et je l’ai vu perdre son statut d’animal domestiqué qui avait choisi le camp des humains, s’absenter de lui-même, devenir un étranger, avoir retrouvé le camp des loups et se mettre à chanter. Il répondait par de longs ululements mélodieux à une sorte d’appel. La musique de la sonate l’appelait et il y répondait. Il résonnait. Tous les chiens ne résonnent pas à l’appel si proche du lointain. C’est troublant des chiens sensibles à la musique. Ils semblent capter quelque chose qui les bouleverse profondément au point de les extraire de leur loyauté envers les humains pour répondre à quelque chose qui échappe à notre langage, à ses certitudes, à son objectivité, à sa toute-puissance. On dirait que ces chiens qui chantent répondent à un langage d’avant l’humanité, à un chant originel, et que depuis leur exil auprès des humains, ils se souviennent de lui. C’est ainsi que j’ai compris ce qu’est sur Terre notre exil d’êtres humains. J’ai pris conscience, face à la musique, que j’étais pareille à mon chien, un être domestiqué, exilé d’un pays perdu.
Extrait de Il neige sur le pianiste de Claudie Hunzinger, Grasset 2024












































Les membres de la tribu chantèrent, soit en solo soit à l’unisson et souvent à plusieurs voix. Certains chants étaient vieux comme le temps : le Vrai Peuple est fidèle aux chants créés ici, dans le désert, avant l’invention de notre calendrier. Mais j’entendis aussi des compositions nouvelles, une musique inventée en mon honneur. On me dit : Tout comme un musicien, l’univers lui-même aspire à s’exprimer musicalement.
Extrait de Message des Hommes vrais au monde mutant de Marlo Morgan, Albin Michel 1995.




Kakémonos encre sur papier bambou 150x 60 cm et 120×40 cm
Ce premier jour, je fus initiée aux relations que les Aborigènes ont établies avec la nature. Avant de lever le camp nous formâmes un demi-cercle, face à l’est. L’Ancien de la tribu se plaça au milieu et chanta. Tous les autres claquaient des mains, tapaient des pieds ou se frappaient les cuisses en cadence. Cela dura une quinzaine de minutes. C’est la routine matinale et ce moment compte beaucoup dans la vie commune. On peut appeler cela prière, recherche d’un centre, fixation d’un objectif. Le Vrai Peuple croit que tout ce qui existe sur la planète a sa raison d’être. Tout est justifié, tout a un but.
La justification du royaume végétal est de nourrir les animaux et les hommes, de fixer le sol, d’accroître la beauté, d’équilibrer l’atmosphère. On m’expliqua que les plantes et les arbres chantent en silence pour les humains et qu’ils nous demandent en échange de chanter pour eux.
Extrait de Message des Hommes vrais au monde mutant de Marlo Morgan, Albin Michel 1995.

Si l’on en croit les astrophysiciens, le monde est totalement sonore. Le visible comme l’invisible, les tables et les chaises comme la poésie et la musique, tout y est ondes, tout y vibre et ondule, l’univers entier est jeux de vibrations, géométrie, symétrie, architecture et musique. Merveille des merveilles.
Extrait de Il neige sur le pianiste de Claudie Hunzinger, Grasset 2024









Ce petit renard était toujours venu seul. Les premiers mois, il m’avait paru imprudent, surgissant en plein jour, parfois l’après-midi. Mais au fur et à mesure, durant le printemps et tout l’été encore, sans doute d’avoir appris plus loin la haine qu’on lui porte, il sera devenu la bête sauvage qu’un rien de présence humaine effrayait. Bien, je lui disais, bien, reste sauvage, mon petit fiancé sauvage. Mon beau persécuté. C’est à moi de m’émanciper de mon espèce, à moi de m’ensauvager de toi. Je lui avais rétréci les repas. Surtout ne pas l’inciter à la reconnaissance, à l’attachement. Je ne voulais pas pervertir son instinct de petite bête inconvenante à jamais. Je lui avais dit Et maintenant espace tes visites. Reste méfiant, hostile envers l’espèce humaine. Ne reviens pas. Ne traîne pas de notre côté. Taille-toi. Nous nous sommes appréciés, mais taille-toi maintenant. Je suis une condamnée. Le langage nous a condamnés. On n’échappe pas à cette condamnation. Fais gaffe à son empreinte. Nous sommes toxiques, nous sommes maudits. Nous sommes la pire espèce.
Extrait de Il neige sur le pianiste de Claudie Hunzinger, Grasset 2024
